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ténébreux » – je n’ai pas changé ! –,

c’est-à-dire que les gens comprenaient

bien que je me taisais, cela les éton-

nait, mais ils interprétaient cela selon

l’impression que je leur donnais.

« Même quand tout va bien, un indice suffit

à réveiller une trace de passé. […] Rien ne

s’efface, on croit avoir oublié, c’est tout. »

Notre mémoire conserve-t-elle toutes

nos émotions : ce que vous avez vécu

est-il entièrement gravé en vous, com-

ment se rappelle-t-il à vous ?

Je pense que rien ne s’efface, on oublie,

mais l’oubli ne veut pas dire que le

vécu soit effacé. On voit par exemple

chez les personnes âgées que des

vieux souvenirs qu’ils croyaient avoir

oubliés étaient simplement enfouis et

avec le style de la mémoire âgée, on

les voit resurgir. Cela veut dire qu’on

oublie pour se protéger, mais aussi

pour donner cohérence au monde :

si l’on n’oubliait pas, on serait « bom-

bardé » d’informations, on ne pourrait

pas tout traiter et on serait confus. Pour

avoir les idées claires, il faut simplifier,

réduire, oublier… La réduction et l’ou-

bli nous permettent de donner forme

au monde que l’on croit percevoir alors

que c’est nous qui l’avons construit.

Mais ce n’est pas effacé, cela reste au

fond de nous, et si notre manière de

vivre au quotidien change, des souve-

nirs resurgissent qui changent notre

vision du monde : « Je ne vois plus

les choses comme avant ». Cela veut

dire qu’il y a un degré de liberté, un

espace de liberté ; cela veut dire qu’on

peut remanier la représentation de ce

qui nous est arrivé. Les syndromes

psychotraumatiques adviennent lors-

qu’on ne fait pas ce remaniement : les

personnes sont alors prisonnières du

passé et il faut les aider à travailler

leurs représentations. Il ne s’agit pas

de mensonge mais de remaniement

constant de la mémoire. Le simple fait

de dire l’événement d’ailleurs est tou-

jours une certaine trahison du passé,

du réel : en effet, je choisis des mots

spécifiques pour m’adresser à vous et

pour donner forme à un événement

passé ; je le forme aujourd’hui,

parce que vous êtes là : c’est donc déjà

une trahison du réel.

« En faisant converger ces sources diffé-

rentes, je me suis fabriqué un souvenir cohé-

rent. »

Pour tenir, vous avez eu besoin de

construire un récit cohérent : com-

ment construire cela lorsqu’il vous

manquait, de par la nature des événe-

ments comme du fait de votre jeune

âge à l’époque, ce récit ?

Quand j’étais enfant, je me racontais

tout le temps des histoires. Tous les

enfants font cela quand par exemple,

ils sont blessés ou qu’ils ont peur.

S’ils maîtrisent leur monde intime,

ils racontent cet événement. Aussitôt,

ils deviennent maîtres de ce qui leur

est arrivé, ils reprennent un peu de

liberté, en devenant acteurs. Le fait de

raconter, même si c’est une trahison

du réel, est nécessaire car cela nous

redonne la liberté et la maîtrise de

notre monde intime. Or, quand j’étais

enfant, on me faisait taire : puisque je

ne pouvais pas partager ce qui m’était

arrivé, je me le racontais tout le temps,

j’inventais des tas de scénarios diffé-

rents. Je m’inventais des scénarios où

je m’enfuyais dans la forêt, je plon-

geais dans les arbres creux, je vivais

avec des animaux… Je faisais cela tout

le temps, on disait que j’avais beau-

coup d’imagination : en fait, j’en avais

besoin. Le refuge dans l’imaginaire

dont parle Freud, c’est une sauvegarde

que ne font pas les syndromes psy-

chotraumatiques : ils voient toujours la

même image, ils sont dans la répéti-

tion, la même image s’impose à eux, ils

ne sont pas libres, ils sont prisonniers

du passé. Si on leur donne la parole ou

si on les surprend en les décentrant de

leur récit stéréotypé, à ce moment-là,

on les entraîne à reprendre un peu de

liberté et beaucoup de syndromes psy-

chotraumatiques finissent, non pas

par s’effacer, mais à ne plus être éprou-

vés de la même manière.

Sauve-toi,

la vie t’apelle

Boris Cyrulnik

© 2012, Odile Jacob

22,90 €

Une histoire poignante, hors du com-

mun, qui retentit profondément en

chacun d’entre nous.

La vie des

émotions

et l’attachement

dans la famille

Michel Delage

© 2013, Odile Jacob

25,90 €

Une perspective originale et éclairante

pour mieux comprendre comment les

émotions se vivent, se partagent et se

régulent dans cet espace de plus en

plus mouvant qu’est la famille.

Comment

fonctionnent

nos émotions ?

Sous le direction

de Boris Cyrulnik

© 2015,

Philippe Duval,

coll. « Sciences

Psy »

14,50 €

Notre monde est un monde de l’émotion-

nel : les émotions nous guident, nous

motivent… Mais au final, que savons-nous

d’elles ? La tristesse, la joie, la colère, la

surprise ne sont pas qu’états d’esprit

fugaces : le cerveau est en jeu, comme le

sont l’amour de nos proches et la société

au sein de laquelle nous évoluons.

onnent

ns ?

Comment fonctionnentnos émotions ?

Sous ladirectiondeBorisCyrulnik

onnel : les émotions nous

l, que savons-nous d’elles ?

nesontpasqu’étatsd’esprit

amourdenosproches et la

s avons besoin d’émotions

drepourmieuxendevenir

ppementdenotrecerveau,

cevons dès les premières

troubles de l’émotion : tout

ulnik (France), JeanDecety

Prize 2014), Peter Fonagy

ehumbert (Suisse)…

tre, psychanalyste, éthologue,

e l’Institut Petite Enfance,

ngères, est notamment connu

et aujourd’hui de recherches

Encouverture :

Fotolia -Kletr

Comment fonctionnent

nos

émotions ?

MichelDelage

Jean-PierreMarmonier

BorisCyrulnik

Anne-SophieRochegude

GiacomoRizzolatti

PierreBustany

CatherineGueguen

Jean

Decety

BlaisePierrehumbert

AnnaBrytek-Matera

Ra aellaTorrisi

PierreRousseau

DanielMarcelli

ÉvelyneThommen

PeterFonagy

ClaudiaM.Gold

MauriceCorcos

DanielOppenheim

SélinePiton

BernardRimé

Sous ladirectionde

BorisCyrulnik

03/04/2015 11:29

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Pour

comprendre

numéro 139 - décembre 2016 - janvier 2017

Dossier : émotions